Citation :je parle du CRX
C'est bien ce que je dis, bien que le dessin final soit signé Honda, il y a fort à parique certains traits Italiens soient restés...
Interview de Sergio Pininfarina
Propos recueillis par Dominique Rizet
Sergio Pininfarina
Le plus Français des Italiens s'appelle Sergio Pininfarina. Décoré de la légion d'honneur par Valéry Giscard d'Estaing en 1979 puis élevé au rang d'Officier de la Légion d'Honneur par le Président Jacques Chirac en 1997, le célèbre designer italien, fils de Battista Pininfarina qui lança la société en 1930, est aujourd'hui à la tête d'un empire industriel qui a dégagé en 1997 un bénéfice de 1,2 milliards de lires, emploie 2000 personnes et a participé, directement ou indirectement, à la réalisation de 30 millions de voitures qui roulent dans le monde. Ferrari, Peugeot, Lancia, Fiat, Honda et maintenant Mitsubishi... tout le monde s'arrache le génie du genthilomme Piedmontais qui transforme de son trait magique toute opération stylistique en succès commercial.
Figaro Magazine: Dans l'esprit du public, Pininfarina représente un homme, un designer. Or, derrière vous il y a toute une entreprise que l'on connait peu... Parlez-nous d'elle.
Sergio Pininfarina : L'entreprise a été fondée par mon père en 1930. Elle s'était déjà bien développée avant guerre puisque nous avions 500 ouvriers en 1939 et que nous fabriquions, avec ces 500 personnes, une voiture par jour. Pendant la guerre, nous avons cherché à travailler pour l'industrie civile mais nous avons été obligés de travailler aussi pour l'armée italienne. Pour elle, nous avons fait un peu de tout... mais, en fait, nous n'avons pas fait grand chose. On a fait passer le temps. La guerre n'était pas très populaire. Ces années ont pourtant été importantes car tous les projets se sont arrêtés pour cinq ou six ans et vous constaterez que c'est juste après la guerre que les fameuses voitures sont sorties... parce que les grandes personnalités de l'automobile avaient le temps, sous les bombes à Londres et avec les Allemands à Paris de penser, de rêver qu'un jour la guerre serait finie et qu'ils pourraient reprendre leurs activités normales. Alors des voitures extraordinaires sont sorties. En France, Renault a conçu sa 4 CV et Citroën sa 2 CV sous les bombardements. Des voitures extraordinaires parce que c'était au moment où il n'y avait pas d'essence et que tout était à reconstruire. En vérité, ces voitures ont créé l'industrie automobile européenne de l'après-guerre.
FM: A quand remonte votre collaboration avec Peugeot ?
SP : A 1951 et le premier résultat a été la fameuse berline 403 qui est née en 1955. Depuis lors, 45 ans ont passé et nous sommes toujours ensemble avec un certain succès commun. Il y a quelques années, je me souviens avoir fait remarquer au Président de Peugeot, Jacques Calvet, que notre collaboration remontait à quarante ans. Je lui ai dit : "Quand nous avons commencé, Peugeot était la quatrième industrie de France et maintenant, vous êtes le premier... Est-ce que cela veut dire que Pininfarina a bien travaillé ou que nous portons beaucoup de chance ?". Il m'a dit : "Les deux , Monsieur Pininfarina... les deux !"
FM: Et avec Ferrari ?
SP : Ferrari, c'est depuis 1952... une collaboration longue et fructueuse comme avec Peugeot. Ferrari est devenu une légende parce que c'est un nom lié à une sportive, un nom sentimental qui symbolise une amitié entre Enzo Ferrari et mon père puis entre Ferrari et moi...
FM: Vous avez-eu d'autres partenariats depuis...
SP : Il y a 20 ans, nous avons également démarré avec Honda une collaboration heureuse dans le domaine du style et des recherches. Dans le passé, il y a eu aussi l'accord avec General Motor pour la construction de la Cadillac Allante a Turin qu'on expédiait avec un pont aérien... quelque chose qui ne s'était jamais fait dans l'histoire de l'automobile. C'était un programme plein d'espoir et d'illusion et moi, je me sentais vraiment toucher le ciel avec un doigt parce que j'avais le plus important client italien, j'avais Peugeot en France, GM aux Etats-Unis et Honda au Japon. Des relations bien établies dans les quatre continents.
FM: Avoir construit l'usine de Cambiano. C'était un pari fou ?
SP : ... plutôt un acte courageux. Nous avons fondé notre nouvelle usine de Cambiano en 1980 et j'en suis très fier parce qu'on venait de vivre les années 70 qui ont été terribles dans toute l'Europe et particulièrement difficiles en Italie. Avoir le courage à ce moment-là de faire un investissement aussi important que la construction d'un nouveau centre d'études signifiait beaucoup de confiance en nous même. Une fois encore, nous avons été heureux car nous avons gardé tous nos anciens clients et que nous en avons acquis d'autres dans le domaine international et développé notre travail de style. Nous avons même commencé à travailler dans d'autres domaines comme le design d'intérieur d'avions et de trains ou le design de bateaux, de bateaux à voiles. De même, quand nous avons fondé en 1957-58 l'usine de Gugliano, ça a été une date très importante : Mon père était encore Président mais il avait nommé mon beau-frère, M. Carli, et moi à la tête de ce projet qui consistait à vendre l'ancienne usine et, avec l'argent, à en construire une nouvelle. Mon père nous a fait confiance. A cette époque-là, j'avais 31 ans...".
FM: Vous venez de signer un accord important avec le japonais Mitsubishi. Qu'allez-vous faire ensemble ?
SP : Nous avons signé avec Mitsubishi il y a deux ans. C'est une caractéristique presque unique de Pininfarina de pouvoir intervenir à la fois dans trois secteurs de l'industrie automobile : les études et les recherches, le développement technique et la production. Nous pouvons faire un des trois seulement ou deux des trois. Il y a aussi des cas dans lesquels nous faisons la production sans apporter le dessin, où nous faisons le dessin et pas la production, où nous faisons le développement technique et la production. Avec la 406 Peugeot, c'est la première fois que nous faisons le dessin, le développement technique, que nous avons la responsabilité de la construction entière parce que nous recevons les moteurs et nous faisons la voiture.
Voilà sans doute ce qui a séduit les japonais. L'accord Mitsubishi est important pour nous parce que c'est une des plus importantes maisons automobiles de l'industrie japonaise. Mitsubishi a signé avec nous pour faire construire en Europe leur nouveau modèle SUV (Sport Utility Vehicle).
FM: Quels sont vos projets pour l'avenir ?
SP : Nous sommes en train de développer la partie études techniques... nous travaillons déjà pour les Chinois et les Turcs dans ce domaine.
FM: Comment se porte la Pininfarina ?
SP : En 1997, notre chiffre d'affaires consolidé s'élevait à 1 milliard 50 millions. Nous espérons arriver à 1250 milliards cette année avec un chiffre d'affaires consolidé qui aura presque doublé en trois ans. Nos experts prévoient une année de pause en 99 mais l'an 2000 correspondra pour nous à un nouveau pas en avant au niveau du chiffre d'affaires.
FM: Avez-vous le sentiment de travailler pour le futur ?
SP : Oui, avec notre département études et recherches. C'est un domaine qui me tient particulièrement à coeur et nous avons fait beaucoup de recherches dans le domaine de l'aérodynamique, de l'écologie et de la sécurité automobile. Si vous prenez en considération les dimensions de notre usine et les investissements que nous avons fait dans ces domaines, peu d'usines au monde ont participé autant que nous à rendre l'automobile plus vivable, plus sûre, plus aérodynamique et plus écologique... moins polluante. Cela vient du fait que chez Pininfarina, nous sommes amoureux du produit automobile. Ca n'est pas un business, c'est un amour. Nous reconnaissons que l'automobile apporte énormément de bien à l'humanité mais aussi quelques maux. Les villes, par exemple, sont pleines d'automobiles et l'air y est parfois empoisonné... Depuis toujours, Pininfarina a vraiment investi pour résoudre les vrais problèmes de l'automobile et donner sa contribution pratique... Je vous rappelle la Sigma qui était la voiture de la sécurité en 1963. Je dis cela avec orgueil parce que notre sensibilité, par exemple dans le domaine de l'écologie, a été importante. Nous avons toute une collection de voitures petites pour la ville que nous avons étudié avec une motorisation thermique, avec une motorisation électrique et avec une motorisation hybride... Et c'est une petite société qui a dépensé tout cet argent pour ces travaux-là.
FM: Le contrat Mitsubishi ?
SP : Mitsubishi a en projet de construire en Europe un véhicule qui s'appelle SUV (Sport Utility Vehicle). Autrefois on faisait cabriolet, coupé et berline. Or, aujourd'hui, la typologie des véhicules produit a beaucoup changé au fil du temps. Maintenant on fait des voitures tout terrain, des voitures monovolume, des berlines de nouvelle conception beaucoup plus hautes et plus courtes qui sont à mi-chemin entre les monovolumes et les berlines classiques. On fait des spiders, des spiders coupés avec capote en métal et on fait ces voitures SUV qui sont entre le tout-terrain et la berline... c'est-à-dire des voitures qui vous donnent la possibilité de profiter de la vie et du temps libre. Ces voitures sont très populaires au Japon où elles sont produites. Dans cet esprit, Mitsubishi a eu un très grand succès avec le Pajero qui est l'une de ces voitures. Or, la future Pajero, pour l'exportation en Europe ne sera pas construite au Japon et exportée en Europe mais elle sera construite en Europe par Pininfarina jusqu'en 2004. C'est l'accord que nous avons passé avec Mitsubishi. Les Japonais reconnaissent implicitement que nous sommes capables de faire de la qualité et que nous avons la capacité de production. C'est un grand succès pour la partie industrielle de la Pininfarina. L'autre considération de caractère général est que le monde automobile a beaucoup changé. D'un côté, on voit le commencement d'un procédé de globalisation et les frontières deviennent toujours plus faibles, les échanges toujours plus importants et le marché Européen est aujourd'hui le plus important au monde. Plus important que le marché américain ou le marché asiatique. Aujourd'hui, l'important est de constater que les japonais font construire leurs voitures par le pays où ils vont les vendre. Cette mesure est moins impopulaire. Il faut se souvenir qu'il y a une époque où l'on brulait les magasins de voitures japonaises aux Etats-Unis. J'ai rencontré M. Kawamoto, le Président de Honda qui m'a dit un jour : "Honda, ce n'est plus une Honda, c'est Honda-Japon, Honda-Asie, Honda-Europe et Honda-Etats-Unis... Les projets sont fait au Japon mais après les voitures sont construites dans ces régions. Alors, je crois significatif que la petite Pininfarina ait su profiter de ce phénomène commercial et économique et construise pour les japonais. Ainsi, par notre sérieux nous apportons du bonheur au client mais nous avons du bonheur nous même. Le produit que je fais pour Mitsubishi est un produit qui n'est en concurrence avec aucun des produits construits pour nos clients traditionnels.
FM: Combien de voitures différentes avez-vous dessiné ?
SP : Nous en avons dessiné plus d'un millier de modèles. On en a reproduites entre 200 et 250. Mais je peux vous dire que plus de 30 millions de véhicules dans le monde ont été créés avec le concours de Pininfarina ou en portent la griffe
FM: Votre premier souci quand vous dessinez une voiture ?
SP : C'est de respecter la personnalité de la marque pour laquelle nous travaillons. Dessiner une Ferrari, une Peugeot, Une Bentley ou une Fiat, ce n'est pas la même chose. Je cherche à respecter l'image de marque de cette voiture. Ca, c'est le premier de mes soucis. Je ne veux pas ne pas respecter l'identité de la maison pour laquelle nous travaillons.
Ensuite, mon second souci est de faire un produit qui est en progrès par rapport au produit précédent... Progrès fonctionnel et qui a une personnalité esthétique en lui-même. Je suis convaincu que la personnalité esthétique d'un objet, et cela vaut pour tout objet du rasoir électrique au magnétophone, est l'étape la plus importante pour le succès économique d'un objet. Si vous prenez les voitures d'aujourd'hui, les performances sont semblables, les prix sont semblables, les réseaux de vente sont bons, les services identiques... il ne reste plus qu'une chose qui détache un produit des autres, c'est la personnalité esthétique alors ce que je cherche à faire n'est pas une recherche de la beauté pure mais une recherche de quelque chose qui a une nouvelle personnalité, qui a quelque chose d'innovant... pas une recherche de la beauté pure parce que la beauté pure est classique se répète... pas la personnalité esthétique. Parce que la beauté pure a des règles canoniques qui se répètent : la proportion, l'harmonie, l'harmonie des vides et des pleins, la douceur des lignes, la simplicité. Tout cela constitue les caractéristiques essetielles de la beauté mais si on se répète toujours, on ne fait plus rien de nouveau or dans le produit industriel, il faut faire quelque chose de fonctionnel et qui a beaucoup de personnalité esthétique. Alors, je cherche, si je peux, si j'ai de la chance, à donner à mon produit une personnalité esthétique importante.
FM: La plus belle voiture dessinée par Pininfarina ?
SP : La Dino Ferrari, la première voiture à moteur central qui a été exposée au Salon de Paris en octobre 1965 au Salon de Paris, quatre ou cinq mois avant la mort de mon père. Celle là pour moi était un mélange parfait de conception technique de la carosserie, de la mécanique... pour moi, c'était arriver à la concrétisation d'un rêve.
FM: Avec l'arrivée des nouvelles énergies... solaires, électricité... est-ce que le design des voitures va changer ?
SP : Je pense que oui. Parce que l'importance des éléments mécaniques, c'est à dire des volumes et des poids des propulseurs est fondamental pour le dessin. Par exemple, si au lieu d'avoir un moteur long d'un mètre et haut de 60 centimètres, on avait quatre moteurs gros comme une boite de conserve, on pourrait mettre les quatre moteurs au coin et avoir tout l'espace libre. Vous voyez que les volumes et les poids des parties mécaniques jouent un rôle fondamental. Je me rappelle que quand nous dessinions les Ferrari à moteur avant et propulsion, comme la petite Dyno, les moteurs étaient très encombrants et les radiateurs très hauts alors c'était impossible de dessiner des voitures avec l'avant très bas, plongeant avec une bonne visibilité. Alors, on avait des capots avant énormes et deux petites places seulement. Si au contraire, vous avez des parties mécaniques plus petites, vous pouvez essayer des formes différentes. Ce sera plus qu'un élément d'évolution mais une révolution dans le dessin automobile.