J’ai enfin décidé de passer ma Lexus IS200 1st Gen (modèle 2004) à l’ethanol E85.
J’adore cette auto, elle est douce, performante, fiable et je ne voulais surtout pas dénaturer le comportement moteur remarquable du 6 cylindres en ligne. Parce que bon, faut l’avouer, un I6, c’est vachement plus sympa au quotidien qu’un 4 …
Donc pour pas briser la magie, il fallait reproduire le même comportement à l’E85. Donc la c’est clair, hors de question de foutre 50% dans le reservoir, au pifomètre, et prier pour que les sondes lambdas fassent le boulot. Soit je fais le boulot jusqu’au bout, soit je le fais pas.
100% E85 et flex-fuel ou rien.
Pour se faire, faut sortir les grands moyens et oublier bien gentillement les “forums E85 français” ou y a pas 1 membre sur 100 qui sait ce qu’est un AFR !
Première étape : Calculer son ROI. (return on investment)
Ben oué. Parce que dépenser des centaines d’euros, voir plus pour rouler 8000km par an ou moins … ben … ça sert a rien. Votre retour sur investissement arrivera au bout de 5 ou 8 ans, quand vous aurez vendu l’auto. Idiot. Moi, par contre, je roule beaucoup, et elle consomme pas mal, donc mon ROI est atteint en moins de 2 ans.
Deuxième étape : Débit injecteur.
Avant une conversion E85, savoir si les injecteurs d’origine vont supporter l’augmentation de carburant nécessaire à combustion égale avec le SP98.
Dans le wokshop Lexus, les injecteurs sont donné pour des :
Citation :47 − 58 cm3 (2.9 − 3.6 cu in.) per 15 seconds (188cc~232cc).
Sachant que le moteur sort 154hp et qu’il y 6 injecteurs, un petit calcul rapide nous oriente dans l’idée qu’il y a du head room. C’est à dire qu’ils seraient plutôt surdimensionnés et qu’on peut les ouvrir plus longtemps à haut régime. La théorie c’est bien, la pratique c’est mieux. Vérifions ça.
On sort un oscilloscope portable (ou un bon multimètre) et on vient repiquer un fil de commande d’injecteur afin de contrôler le duty cycle max de celui-ci. Le duty cycle c’est le temps ouvert versus le temps fermé. A haut régime, au point de puissance max, souvent les injecteurs sont à +90% de duty, soit quasi tout le temps ouverts. C’est mauvais car ça veut dire qu’on va pas pouvoir injecter beaucoup plus de carburant.
Je mesure donc ce duty cycle en poussant le moteur de la Lexus au limiteur de régime sur le 4ème rapport : 75%. Parfait. Y a 25% de head room, soit suffisamment pour ajouter du carburant et obtenir un mélange correct E85 à la P-Max.
Oscilloscope
Maintenant qu’on a confirmé qu’il ne faut pas changer les injecteurs (couteux, ROI repoussé), ou augmenter la pression d’essence (chiant, couteux et retour carto OEM ultra galère), et ben … On peut attaquer la suite !
Troisième étape : La méthode de conversion.
Comme expliqué en intro, toutes les méthodes "ghetto way" ne m'interessent pas (et je parle même pas des "boitiers ethanol" qui vous promettent monts et merveilles).
Donc la seule acceptable est celle du piggy-back reprogrammable dual maps. Et la, ça se bouscoule pas au portillon : y a l'AEM FIC qui offre une solution “assez chère” mais bien rodée et de qualité. Pour les autres, j'ai rien trouvé de vraiment convainquant. Surtout que l’AEM permet, en plus, de corriger l’accel pump !
J'achète donc un AEM "universal" neuf, sachant que j'ai déjà bossé avec ce matos sur une conversion E85 il y a 6~7 ans. La plus grosse difficulté commence maintenant : il faut détourner une trentaine de fils du faisceau moteur Toyota. Pour ça je m'équipe du workshop manual de la Lexus, des schémas électrique qui y sont détaillés et je commence le "fastidieux" boulot d'investigation pour trouver les bons fils et leurs couleurs respectives. Boulot qui prendra quelques week-end en bossant un peu le dimanche sur les schémas.
Une fois ce défrichage effectué il faut commander du cable automobile, au bon diamètre et avec les bonnes couleurs (ça évite grandement les erreurs au montage). Pour ça je commande sur polevolt.co.uk qui propose du "vrai" matos qualité OEM, calibré en ampérage et retardateur d’incendie. Pas des fils de haut parleurs de chez Feu Vert quoi. Je prends aussi de la gaine annelée et du 3M vinylé.
L'ECU de la Lexus étant dans le compartiment moteur, faut compter plusieurs mètres de cable, sachant que le boitier AEM sera lui dans l'habitacle.
Après le taf de rat de bibliothèque sur l’ordi devant les schémas, commence celui de l’assemblage physique du faisceau : connexions aux connecteurs AEM, pontages, puis gainage, etc …
Une fois fabriqué, faut installer ce serpent de 4 mètres de long dans le compartiment moteur et le relier au faisceau EGI OEM. Pour se faire il faut percer le tablier du compartiment, derrière la batterie, côté passager, pour le faire rentrer dans l’habitacle et amener l’autre partie à l’ECU sur l’avant gauche. La aussi il faudra percer le sarcophage de plastique pour atteindre physiquement les connecteurs de l’ECU. Il faudra aussi ne pas oublier de dériver une durite d’air depuis le papillon de gaz pour alimenter in-board MAP de l’AEM et bien sûr passer le cable de la sonde UEGO.
Conception faisceau
Je vous passe les détails, vous imaginez bien la mission que ça représente, faut être motivé à vouloir rouler au jus de bettrave !
Normalement, si tout se passe bien, en branchant le by-pass AEM au bout du faisceau, le moteur doit démarrer et tourner exactement comme avant. Puis en branchant le boitier AEM avec les cartos sans correction, idem, ça doit tourner parfaitement. A partir de ce moment, le plus pénible du taf est effectué.
Bon il reste quand même à fixer l’AEM dans un coin à droite de la boite à gants, ranger et fixer le faiceau et enfin monter l’interrupeur de switch de config A/B.
AEM fixé
Quatrième étape : : Cartographie SP98.
Pour la cartographie SP98 d’origine ont va rien toucher, donc la config “A” de l’AEM n’aura aucune correction nulle part. Par contre, ça serait bien d’avoir une idée des AFR utilisés par Toyota. Donc j’ai monté mon Innovate Motorsport LM2 en logger avec 3 signaux d’entrée : AFR (via sonde Bosch LSU 4.2), régime moteur (OBD), MAP (OBD).
J’ai configuré le logiciel Logworks de Innovate pour avoir une carto 2x*2x comme sur l’AEM avec les mêmes valeurs de colonnes/lignes puis je suis allé rouler. Logworks a rempli la majorité des cases avec les valeurs OEM d’AFR.
Attention : j’avais déconnecté les sondes lambda OEM pour que l’ECU Toyota tourne en open-loop afin de ne PAS avoir des valeurs d’AFR corrigées en continue !
SP98 map
Maintenant cette carto va me servir de cible, et le boulot sur l’E85 sera de se rapprocher au mieux de ces valeurs d’AFR afin d’obtenir strictement le même comportement moteur qu’au Super. Ensuite il suffira de rebrancher les sondes lambda OEM et l’ECU fera ses petites corrections lui même. Bon, clairement, à l’E85 ses trims seront pas bon (trop pauvres), faut croiser les doigts pour qu’il possède un auto apprentissage des trims dans son process de régulation des AFR. Dans le doute, c’est la raison pour laquelle il faut coller au plus près des AFR SP98 dans toutes les zones de la carto.
Cinquième étape : Cartographie E85
Aller, go station et on rempli le reservoir de jus de betterave. Le mieux c’est d’avoir le minimum possible de SP98 encore dans le reservoir avant d’y mettre de l’E85. (J’ai voulu vidanger le reservoir de la Lexus, mais il est en 2 parties, et contourne l’arbre de transmission, bref c’est une galère, j’ai pas réussi, il restait beaucoup de SP, tant pis).
Donc avec 75% d’E85 je commence une première version de la carto.
Ca va plutôt vite, grâce a Logworks qui fait un super boulot. Et j’obtiens en quelques heures un moteur qui tourne plutôt bien, avec tous ses chevaux plein gaz.
E85 map
Maintenant tout est loin d’être parfait. D’abord j’ai pas 100% d’E85 donc faudra re-corriger tout ça plus tard. Mais surtout, les reprises (accélérateur plein gaz subitement), sont molles. Et c’est normal. Quand on soude la pédale, le boitier moteur capte un mouvement rapide du papillon de gaz via le TPS et injecte un surplus d’essence “calibré” immédiatement afin que le moteur réponde le plus rapidement possible à la sollicitation. Si l’ECU attendait une variation de la dépression ou un changement d’AFR vers le pauvre, ça serait trop tard et le comportement serait franchement pourrave en reprise. Le terme utilisé est un vieil héritage des carburateurs et leurs “accel pump” (les vrais motards sauront).
L’accel pump, ça marche parfaitement au SP98. Sauf que l’E85 étant moins energétique, la quantité de carburant calibrée pour le SP98 injecté est trop faible pour avoir les mêmes reprises. Donc, faut aussi enrichir l’accel pump !
Et ... l’AEM le permet ! Il a le signal TPS, et il y a une option de configuration dans le logiciel. Le réglage se fait surtout en trial&error, vu que faut souder, puis regarder l’AFR sur la seconde qui suit et enrichir jusqu’a que ça soit correct. Un bon 30%.
Dernière chose, les démarrages à froid. La grande misère de l’E85. Même soucis que l’accel pump, la calibration au SP98 n’est pas correcte pour la betterave, il faut BIEN plus de carburant pour démarrer à froid. Et plus il fait froid, plus ça s’empire de manière quasi exponentielle !
Nota bene : il faut savoir que l’E85 d’été et d’hiver est pas le même. Il est plus coupé au SP en hiver, sinon, même les meilleures flex-fuel auraient franchement du mal à démarrer par grand froid.
Pour corriger, en partie, ce problème, on peut grujer le boitier ECU OEM en lui faisant croire qu’il faut beaucoup plus froid que la réalité via la sonde de température de liquide de refroidissement (l’ECT). En effet, l’ECU se base principalement sur cette sonde pour 2 choses essentielles au démarrage :
- Le “cold cranking time” : la quantité de carburant injectée en aveugle au moment ou le démarreur s’active, avant même que l’ECU n’ai les infos de régime moteur et autres capteurs de “mouvement”.
- Le “cold start enrichment” : la sur-quantité dégressive de carburant injectée asservie à la T° de liquide au fur et à mesure de la chauffe du moteur.
Donc si on trompe cette sonde correctement, le boitier ECU va réagir différemment en injectant plus de carburant et on peut se débrouiller pour obtenir un comportement pas parfait, mais nettement mieux si on faisait rien !
Je ne vais pas plus loin dans les détails de mon “ECT cheat” car je travaille dessus de manière itérative. Pour faire court, j’ai monté un potentiomètre qui me permet de simuler des T° plus basse que la réalité et je fais des tests de démarrages à froid en cherchant les meilleures configurations puis je construirais un système intelligent informatisé qui s’occupera de ça tout seul en fonction de quelques signaux d’entrée. Ca fera l’objet d’un update du topic plus tard.
Recherches ECT
Etat actuel :
Je roule très, très peu avec la Lexus ces derniers temps car il fait beau et je prends ma bécane pour aller au taf. Résultat j’ai pas fini mon plein de 75% d’E85 et je tourne toujours en carto intermédiaire.
Donc j’ai pas encore de recul autre que ~200km à l’E85 qui se sont très bien passé. J’ai pas encore remis les sondes lambda OEM, elle tourne en open loop avec le check engine allumé (vu que y a ma sonde Bosch sur le collecteur). Ca sera très interessant de voir comment ça va se passer une fois remises en place. J’ai pas non plus fini l’accel pump.
Au fur et mesure des avancées je mettrais a jour le topic. Et cet été je vais beaucoup rouler, vu que je pars en vacances loin avec.
Documentations : gracieusement offertes, après des heures de recherches et travail.
PDF avec les informations précises de connexion au faisceau OEM
Schéma complet de connexion IS200 vers AEM FIC6 universal
Réponse : sonde de température de liquide
Photos des travaux !
Matos polevolt.co.uk
Faisceau conception
Faisceau avant gaine
Faisceau gainé
Trou tablier
Repiquage ECU
Durite MAP in-board
Switch de cartos