Pour ce qui est de la qualification des ouvriers et leur salaire, dans mon domaine en tout cas (tuyauterie industrielle et structure métallique), le problème vient d'une sous-qualité.
Prenons un exemple, dans une boîte que tout le monde connaît, en France, qui fait des énormes grues et pelleteuses. J'ai un très bon ami qui y travaillait.
Ils construisent le bras de la pelleteuse (autant dire pas de la petite pièce). Lui vient contrôler, il y a des défauts partout. Après deux semaines de discussions où il refuse la validation de la pièce et l'entreprise le pousse à le faire, intervention du N+42, la pièce est réparée. Au final, tout le temps passé, la réparation, les discussions, les revalidations, les frais, le métal supplémentaire, ne sont pas chiffrés. On est en entreprise, donc dire "ça a coûté plus cher de faire de la moindre qualité au final" ne suffit pas: il faut le prouver. Hors, même si la démarche de le tracer/chiffrer était lancée (ce qui n'est que peu ou pas le cas), c'est extrêmement difficile à faire.
Si les soudeurs et monteurs avaient été mieux formés, si l'entreprise avait mis en place une politique qualité et contrôle à étage (le préparateur, puis le soudeur, puis le chef d'équipe, puis le qualiticien), la pièce aurait coûté moins cher, et serait sortie plus vite, avec une meilleure qualité générale (suivi de construction et pièce en elle-même).
Tout ça pour dire que ce type de management (regarder la fiche de coûts d'un projet et la réduire) ne fonctionne pas sans retour d'expérience précis de l'impact de non-qualité. Et le pire, c'est que ce n'est pas la faute des sous-traitants! Si tu ne réduis pas tes coûts, tu n'auras pas le job. Ce sont les clients (CAC40) le problème, parce qu'ils ne sont pas gérés par des industriels, mais des financiers.
Ça induit:
- De l'embauche de personnel avec un besoin moindre en qualifications, donc payés moins cher
- Une perte petit à petit d'un savoir-faire dans des métiers particuliers
Ces deux points, en boule de neige, conduisent à des profs moins bien formés, des élèves moins bien formés, qui vont retourner dans cette entreprise, qui deviendrons profs mais donc moins bons, etc etc on s'arrête jamais.
Vous avez dû entendre parler de la cuve du réacteur de l'EPR de Flamanville?
Pour ceux qui n'auraient pas suivi, il existe une fonderie au Creusot (qui même si en déclin, reste un bassin industriel dans la sidérurgie/mécanique/fonderie énorme avec un savoir-faire parmi les meilleurs du monde). Cette fonderie s'avère être la seule habilitée pour construire des cuves de réacteur. Toutes les cuves de réacteurs construites par la France sortent donc de cette usine, ce qui n'est pas rien, en termes de confiance et de savoir-faire de l'entreprise.
Il y a quelques années, la fonderie le Creusot a été racheté par le frangin Bolloré (ou jsais plus qui mais vous voyez le truc). Sans que personne ne le voie vraiment ou n'en parle vraiment, dans une logique de réduction des coûts pour augmentation des profits (la fonderie le Creusot c'est comme une entreprise qui fabrique des lames de scies de scierie: il y en a peu voire une seule, c'est une industrie de niche, qui risque donc très peu de se casser la gueule, et qui donc peut permettre un bénéfice substantiel stable si on réduit ses coûts de production), la qualité a légèrement diminué.
Aujourd'hui, la cuve du plus gros réacteur EPR du monde qui a déjà plus de 6 ans de retard de livraison est non-conforme. Des dossiers ont été ressortis, et apparemment des non-conformités avaient été relevées il y a des années de cela, déjà...
On ne fait pas plus édifiant comme constat sur l'évolution de l'industrie française: la disparition de petites boîtes au savoir-faire énorme, qui par un niveau et une maîtrise élevée de leur activité pouvaient garantir une grande qualité de leur travail tout en permettant des hauts salaires, au profit de rachats par des grands groupes, qui vont réduire les coûts et les salaires pour faire fonctionner leurs services centraux et, bien entendu, verser des dividendes à leurs actionnaires.
Si on compare une PME établie depuis 50 ans qui ne fait QUE des vannes hydrauliques par exemple, toutes les entreprises du coin se fourniront chez eux, la relation de confiance s'installe, les coûts annexes sont réduits, la communication plus facile, le travail meilleur ainsi que les employés, qui seront aussi mieux payés: c'est le fameux entreprenariat à la française.
A l'inverse, cette même entreprise rachetée par un grand groupe, devra obéir à des procédures et des processus qui ne sont peut-être pas forcément en phase avec son activité réelle, obéir à des directives de réduction de coûts ou de simplification de chaîne de production qui encore une fois ne sont peut-être pas adaptées, et sortir du pognon pour donc, services centraux du grand groupe et actionnaires.
C'est un mécanisme très simple à comprendre et qui explique beaucoup de choses, mais aujourd'hui, il est malheureusement très, très difficile à enrayer...
(C'est pas tout noir non plus, être dans un grand groupe peut éviter la faillite d'une filiale en temps de disette en puisant dans les fonds propres du siège -ce qui est d'ailleurs une stratégie commerciale passive bien connue: laisser mourir les PME s'il n'y a pas de boulot, et faire tourner les filiales du groupe concurrentes au ralenti; lorsque l'activité se relance, il ne reste que les filiales- , mais on est quand même selon moi plus proche du gris très foncé que du blanc, niveau savoir-faire/qualité/salaires...)
Sorry pour le pavé